Retour en mer
Un refit est toujours une affaire de long terme et de patience. Au programme de cette fin de chantier : pose de l’antidérapant, montage de l’accastillage flambant neuf et rangement en vue de la remise à l’eau tant attendue!
CE CHANTIER va-t-il se terminer dans les temps ? Telle est la question qui nous taraude en cette fin de rénovation suite à l’énorme intervention lancée sur la quille pour cause d’électrolyse (VM n°247). Ce travail colossal (plus de cent heures d’intervention), non prévu dans nos plans initiaux, a forcément fait prendre du retard au chantier du Grand Val : deux mois d’immobilisation supplémentaire, un intérieur sens dessus dessous et de la poussière de plomb incrustée dans tous les recoins du bateau.
Pourtant, il était impératif de finir les soudures avant de se lancer dans la pose de l’antidérapant. Plusieurs choix s’offrent alors à nous. D’un côté les peintures composées de grains de sable ou de liants modifiés avec rajout de microbilles, ou encore la bande auto-adhésive type TBS. De l’autre du teck naturel ou synthétique (comme le Flexiteek) ou encore le bon vieux Trade Master Naval HPK, plus classique avec ses fameux motifs en losange.
Après mûre réflexion, notre choix se portera sur ce dernier produit qui a déjà fait ses preuves (le pont de Diaphani en était recouvert à l’origine). En outre, il reste abordable financièrement, contrairement au teck tout en garantissant un bon vieillissement dans le temps, à l’inverse des peintures qui nécessitent de repasser une bonne couche tous les dix ans environ (selon utilisation).
LA DECOUPE DES PIECES EST FASTIDIEUSE
La préparation de ce type d’antidérapant demande en revanche de lancer la préparation du travail bien en amont. C’est-à-dire avant même de retirer l’ancien Trade Master en vue de la peinture de pont à venir. L’idée étant de réaliser des gabarits à partir des anciennes plaques d’antidérapant à l’aide de feuilles en polyane connues pour leur résistance et leur capacité à se rouler facilement dans des étuis. En parallèle, un schéma reprenant la mesure des différents panneaux et leur emplacement sur le pont est réalisé sur un carnet. Ce fil directeur permet de lancer les travaux de peinture tout en gardant une marge de manœuvre pratique en cas de modification du cahier des charges de l’accastillage.
Ainsi, un changement pour un winch de taille plus importante sera pris en compte dans la pose du futur antidérapant. Une fois la peinture de pont bien séchée, on applique avec soin les différents gabarits à l’aide du plan général. On veillera toujours à bien tracer les traits au crayon de papier avec une marge de quelques millimètres en moins pour éviter de les voir apparaître une fois la pièce de Trade Master positionnée.
Mais avant cette étape plutôt sympathique, la découpe des pièces s’avère souvent longue et fastidieuse. En effet, l’antidérapant arrive directement de l’usine sous forme de panneaux de taille standard (120 par 90 cm) qu’il faut découper en autant de pièces nécessaires. Pour ce faire, rien ne vaut une grande table comme on peut trouver en voilerie. A l’aide de grandes règles et en prenant soin de retourner le Trade Master pour éviter d’abîmer les motifs, on peut se lancer sereinement dans l’opération de découpage.
Attention à bien respecter le sens des losanges dont on doit absolument garder l’alignement. Ce sont ces derniers qui participent activement à l’adhérence de ce support de pont et à son esthétique générale. Pour la finition des petites pièces aux formes atypiques et non planes (autour des winches d’embraque au niveau des hiloires par exemple), on utilise des échantillons de bois de différentes tailles pour concevoir les arrondis. Ceci avant de lancer le ponçage à la main pour éliminer les restes de matière afin de coller parfaitement au traçage prévu. Résultat pour le chantier : de nombreuses chutes irrécupérables et des heures de labeur…
Une fois tous les panneaux finalisés, il faut comme toujours préparer au mieux la surface de collage. Après avoir vérifié que ces derniers s’adaptent parfaitement aux différents contours, un ponçage au 120 à la machine est nécessaire pour parfaire une accroche mécanique. Pour les zones arrondies, un travail manuel de précision est conseillé pour éviter de déborder et d’attaquer ainsi la nouvelle peinture de pont. Pour finir, dépoussiérage et dégraissage à l’acétone sont indispensables avant de se lancer dans le collage définitif de notre Trade Master de couleur beige.
Pour les caractéristiques de la colle, nous optons, suite aux retours d’expérience réussis du chantier, pour une colle époxy qui semble la plus adaptée à l’aluminium. De plus, celle-ci est réputée pour sa haute résistance à l’arrachement, contrairement à une colle néoprène plus traditionnelle. Pour éviter tout débordement, on prépare comme pour la peinture un scotch sur les bordures de chaque panneau. On rajoute également des petites cales scotchées sur chaque bord pour éviter à la pièce d’antidérapant de bouger, même de quelques centimètres, au moment du collage. Ce dernier à proprement parler est effectué à l’aide d’un peigne pour empêcher de grosses agglomérations de matière qui pourraient nuire à l’abrasivité et à la beauté de l’ensemble.
Une fois la colle appliquée avec soin sur le revers, on laisse les solvants s’évaporer avant d’appliquer délicatement, quelques minutes plus tard, les pièces de Trade Master sur le pont. Là encore, une technique particulière est doit être à mise en œuvre : le marouflage. Il s’agit d’appliquer le Trade Master en le pressant (à la main ou avec un rouleau) de manière régulière de façon à éliminer les bulles d’air qui auraient pu se loger entre les deux surfaces.
On pourra toutefois se permettre de percer à l’aiguille les micro-bulles restantes. Enfin, des poids en plomb sont répartis pour garder les panneaux en place pendant la durée de séchage de la colle – compter trente-six heures. Il nous reste alors à remonter l’accastillage dernier cri (à l’exception des winches du piano et des anciens capots de pont) avant le grand ménage de printemps, prélude à la remise à l’eau. Toujours dans un souci d’économie des heures de main-d’œuvre, nous décidons de réaliser une bonne partie de ce travail somme toute la plus sympathique en famille. Et une fois de plus, les conseils des techniciens du Grand Val seront indispensables pour accomplir ce travail de titan. La pose des nouveaux rails de génois nous causera d’ailleurs bien des soucis. L’entraxe pour quelques millimètres ne correspondant pas – évidemment – aux anciens trous, nous ne coupons pas à la tâche ingrate du taraudage.
UN VERITABLE CASSE-TETE
Après de longues heures de bricolage, nous sommes contraints d’abandonner cette technique après être tombés plusieurs fois sur d’anciens écrous positionnés sous le rail d’origine et datant de la construction. Le chantier Pouvreau avait fait dans le costaud avec ce rail taraudé sur 1,2 cm de profondeur et boulonné. Au final, nous décidons de percer mais là encore, nous tombons sur un os. En effet, directement sous les rails, une lisse creuse de renfort courant sous le pont doit d’abord être traversée pour passer les vis afin de boulonner l’ensemble à l’aide d’écrous.
L’accessibilité des différentes parties de Diaphani étant un véritable casse-tête, nous passons de longs moments à démonter les aménagements intérieurs comme les penderies des cabines arrière. A force d’acharnement, nous finirons par réussir dans la douleur la pose de ces fameux rails avec des vis de 110 mm de long. De plus, réaliser une étanchéité parfaite va vite devenir indispensable avec ce nouveau montage. La encore, cela ne sera pas un long fleuve tranquille puisque lors du convoyage retour vers le Crouesty, une entrée d’eau sera détectée, au grand dam de l’équipage.
La faute à un ancien trou pas ou mal rebouché qui nécessitera de démonter en totalité le rail tribord une fois au port. Définitivement une histoire de spécialistes ce refit, ne laissant aucune place à l’approximation ! Pour autant, le montage du reste de l’accastillage à l’instar des winches et des différents taquets sera mieux réussi tout en respectant au plus près les exigences d’un voilier en alliage. Une plaque isolante est nécessairement ajustée sous chaque pièce d’accastillage pour éviter la corrosion à venir entre acier inox et pont en aluminium. Idem pour les vis de fixation qui doivent être enveloppées dans une pâte isolante hautement toxique.
Enfin, des contre-plaques sont installées sous les vaigrages pour consolider les taquets multiples du piano et winches de pont. Comme souvent en fin de travaux, nous passerons les deux dernières semaines de ce chantier pharaonique à nettoyer en profondeur les fonds, les coffres et toutes les couchettes de ce voilier qui semble alors d’une taille gigantesque ! Mais quelle récompense quand, après dix mois de labeur intense, notre beau voilier pimpant comme au sortir du chantier retrouve enfin son élément !